mardi 15 avril 2008

Sujet de la première composition d'agrégation de philosophie

Pour ceux que cela intéresse, voici le sujet de la première composition de philosophie pour cette agrégation 2008 : "Pourquoi y-a-t-il plusieurs philosophies ?" Et toujours pour info, sachez qu'il n'y a que 26 postes à pourvoir pour le CAPES externe de philo (sur toute la France cela s'entend...) et seulement 40 postes à l'agrégation externe. Honte !

lundi 7 avril 2008

Doit-on interpréter la loi ?

La loi, qu’elle soit juridique ou morale, pose une obligation. Elle est de l’ordre de la règle. La loi scientifique, quant à elle, décrit une relation qui ne comporte jamais d’exception. Cette dernière est donc de l’ordre de la nécessité. Ceci étant, la loi juridique se distinguant du simple décret, présente un caractère de généralité et d’abstraction tout comme la loi prise en son sens scientifique.

Si l’interprétation de la loi scientifique se trouve au cœur même du travail du scientifique (en conséquence de quoi l’interprétation d’une loi se situe au centre de l’activité scientifique au même titre que l’expérimentation), la question de l’interprétation d’une loi morale ou juridique n’est pas sans poser problème. Les deux démarches sont en effet bien différentes, et ce pour diverses raisons. En premier lieu, il faut remarquer que l’interprétation d’une loi scientifique[1] est interprétation d’une nécessité, c'est-à-dire d’une vérité ou adéquation puisqu’il ne peut en être autrement. L’universalité de la loi scientifique ne constitue donc pas un critère d’exigibilité puisqu’elle déjà donnée comme telle. Par conséquent, le scientifique s’avoue passif devant la loi. Ne pouvant en modifier les effets, ne pouvant briser les conséquences d’une relation causale nécessaire, l’interprétation du scientifique se cantonnera à un travail de compréhension (pourquoi tel effet produit nécessairement telle cause, pourquoi 2 + 2 = 4, etc.) et d’explication (parce que je comprends la relation, je suis en mesure de l’expliquer. Je ne peux en revanche pas expliquer ce que je n’ai pas auparavant compris). Ainsi, l’interprétation par le scientifique d’une loi scientifique implique-t-elle une exigence de conformité avec la vérité première d’une loi. Et la loi scientifique est voué à se reproduire chaque fois identique à elle-même et toute application de cette loi ne peut être autre chose que la reproduction d’effets identiques issus de causes identiques elles-aussi reproduites. Autrement dit, il n’y a pas de jurisprudence en matière de loi scientifique : elle s’appliquera nécessairement de la même manière en dépit de la particularité des cas.

Or, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’interprétation d’une loi morale ou juridique car, tandis que l’universalité et la nécessité qui caractérisent la loi scientifique sont données, l’universalité et la nécessité que l’on attendrait d’une loi juridique ou morale ne sont qu’exigibles et contiennent en elles-mêmes la possibilité de leur transgression. Ceci tient au fait que les lois scientifiques appartiennent au domaine de la nature et la loi humaine au domaine de la liberté. Et cette liberté concède à l’interprétation de la loi humaine une dimension spécifique dont l’interprétation scientifique des lois de la nature se trouve par essence dépourvue. Cette dimension spécifique que la liberté introduit dans l’interprétation juridique ou morale de la loi c’est la possibilité de juger du bien-fondé de la règle et de décider du sens à lui donner. Que ce soit en droit ou en morale, on le voit, l’interprétation de la règle n’est ni fixe, ni définitive mais soumet celle-ci à une constante exégèse. L’existence même d’une jurisprudence en matière de droit prouve qu’en définitive l’interprétation tend à se subordonner le contenu initial de la loi et qu’une loi court toujours le risque d’être dépassée ou détournée par l’interprétation qui en est faite.

Pourtant, nous avons commencé par dire que la loi, qu’elle soit morale ou juridique, posait une obligation puisqu’elle était de l’ordre de la règle ce qui semble contredire la possibilité même d’une interprétation légale de la loi. En d’autres termes, si la loi ne se discute pas justement parce que c’est dans son essence de loi que de faire autorité, au nom de quoi s’autoriserait-on à l’interpréter ? Ceci étant dit, on sent bien qu’une loi humaine qui serait appliquée avec la même nécessité implacable qu’une loi scientifique propulserait le droit et la morale aux confins de l’arbitraire et que c’est même règle ne manqueraient pas de devenir rapidement injustes car injustifiées et disproportionnées. Dès lors, la question de savoir si l’on doit ou non interpréter la loi s’ouvre dans toute sa complexité.

La loi, comme expression du droit ou de la morale, est créée par les hommes mais demeure cependant extérieure à eux. Le propre d’une loi, qu’elle soit morale ou juridique, est de dicter un comportement aux personnes qui y sont soumises (dans le cas du droit) ou qui y adhèrent (dans le cas de la morale). Morale et droit ont ceci en commun d’établir des normes présidant à l’exigence d’une vie sociale harmonieuse (bien qu’il soit envisageable que la morale s’oppose au droit ce qui est généralement symptomatique d’une crise politique puisque dans l’idéal droit et morale se nourrissent de principes similaires orientés vers une finalité commune de pacification sociale). Ainsi, loi morale et loi juridique se distinguent en ce qu’elles sont coercitives, c'est-à-dire qu’elles représentent une contrainte à laquelle on est tenu de se soumettre soit en fonction de ses convictions morales soit en fonction de son appartenance à tel Etat. La particularité de la loi juridique tient au fait qu’elle double la coercition de la possibilité de la sanction en cas de manquement à la règle : à celui qui a causé, par sa faute, un dommage à autrui ou à la société, elle impose de le réparer ou oblige celui qui a conclu un contrat de respecter les engagements qu’il a consenti, etc. Or, puisque la règle de droit vise à organiser la société et à régir les relations qui s’établissent entre les membres de celle-ci, la règle de droit ne peut être qu’extérieure à la personne. Il va en fait de même de la règle morale : si celle-ci favorise l’intérêt général et renonce aux intérêts privés, il est logique de penser que la loi morale se trouve, par définition, investie du même caractère d’universalité. Ainsi, pour Kant, la loi morale ne prescrit aucun devoir particulier mais se veut l’expression de la raison pratique elle-même en tant qu’elle s’impose à l’homme par sa forme, qui est l’universalité : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle » (Critique de la raison pratique, Première partie, livre I). On le voit, la loi est bel et bien extérieure à l’homme et s’avère, par ailleurs, coercitive, généralement pourvue de sanction. Or, cette extériorité, ce pouvoir de coercition et la possibilité de la sanction instituent l’autorité de la loi. Interpréter la loi, décider de son sens, reviendrait alors à s’arroger un pouvoir que nous n’avions pas sur elle. Car, au fond, y-a-t-il une différence entre le fait de discuter une loi et la remise en cause de sa souveraineté ? Interpréter la loi, n’est-ce pas le meilleur moyen de se défier de l’obligation qu’elle constitue ? N’est-ce pas ruiner leur caractère impératif ? En définitive, n’est-ce pas juste un moyen de la contourner ? De se faire une justice « sur mesure » ? Mais en même temps, le sceptre d’une application implacable d’une loi reçue sans discernement rappelle la terreur que font subir tous les régimes injustes. A ce niveau, on n’est plus très loin d’une « justice » telle qu’elle est imaginée par Lewis Caroll dans Alice au pays des merveilles où il s’agit de d’abord couper la tête du suspect pour ne le juger qu’ensuite. Aussi, dans l’application de la loi, idéalement contingentée par la compréhension et l’explication qu’on est capable d’en tirer (Gadamer, Vérité et méthode) doit-on être capable de discerner ce que Hannah Arendt nommait « l’autre face de l’action. » Autrement dit, quand j’interprète une loi et que je décide de l’appliquer, il s’agit de savoir quel sens est-ce que je donne à mon action, mais surtout, quel sens est-ce que je donne au principe de loi ?

En réalité, c’est l’interprétation qui parachève le sens de la loi. Ne pas l’interpréter eut égard à sa souveraineté et par crainte de la constater trahie est donc un non-sens. En vérité – et c’est ce que révèle la pratique du droit dans toutes les régimes démocratiques – le sens de la loi n’est vraiment fixé que lorsqu’elle a subit l’épreuve de la jurisprudence. Et si la démocratie anglaise est, plus que toute autre, attachée au règne du droit, ce n'est pas la legal rule (terme désignant la règle au niveau de son application) qui témoigne de cet attachement, c'est la rule of law. Or celle-ci n'équivaut pas à ce que le Français entend par règne de la loi ; elle signifie la primauté de ce complexe de règles, de précédents, d'usages et d'interprétations que constitue le droit anglais et qui n'est si touffu que parce qu'à côté de l'ordre on a toujours entendu y faire place à la liberté des individus. Mais même si le droit écrit français est par essence plus « figé » que le droit anglais, chaque loi a fait, fait ou fera l’objet d’une interprétation, c'est-à-dire, l’objet d’une jurisprudence. Ainsi envisagée, l’interprétation, c’est le fait de comprendre de façon nouvelle et différente à chaque instant. Et l’application, consistera dès lors à savoir s’adapter à une situation concrète et en tirer un enseignement pratique. Il en découle que la raison ne peut être dissociée de la loi. D'où la formule à laquelle s'arrête l'Encyclopédie du siècle des Lumières : « La loi en général est la raison humaine, en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la Terre. » Pour Montesquieu, « les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses » (L’Esprit des lois, livre I, chapitre I). Mais c’est rapports doivent être découverts pour en imposer l’observation dans la société. Or, cette découverte est l’œuvre de la raison. Les Encyclopédistes iront jusqu’à poser la raison comme seule et unique assise de la loi.

Ce rationalisme philosophique restitue à l’homme son pouvoir de législateur. Si la loi demeure sacrée car souveraine, elle est en revanche laïcisée et par-là désinvestie de tout absolutisme de droit divin qui faisait de la loi une entité intouchable ne se prêtant pas à la discussion et encore moins à l’interprétation. Pour Rousseau, la loi étant devenue l’expression de la volonté générale, elle ne peut formuler qu’un impératif rationnel et la loi continue d’être construite par les hommes car la loi, en s’interprétant, se renouvelle et s’adapte.

Cessant d’être universelle, donnée et absolue, la loi devenue rationnelle remplit son rôle de régulation sociale en s’adaptant et s’interprétant sur la base de cas particuliers. Montesquieu avait déjà eu l’intuition de la chose lorsqu’il écrivait : « Les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine» (L’Esprit des lois). Et si la raison humaine est universelle, les conclusions sur lesquelles elle aboutit sont contingentes car fonctions de situations historiques, temporelles et géographiques chaque fois spécifiques. Ne pas interpréter la loi, c’est donc risquer d’universaliser un principe qui ne vaut que parce qu’il est contingent, et en donnant un caractère nécessaire à ce qui est contingent on a vite fait de sombrer dans l’obscurantisme ou le fanatisme et de rendre la loi si rigide qu’à défaut de rendre la justice on se contente d’utiliser une mécanique bien huilée et aveugle et sans conscience.

L’interprétation de la loi est donc une marge de manœuvre nécessaire pour ajuster la loi, la préciser, la révéler. Elle maintient l’équilibre entre la liberté du législateur et la nécessité qu’il y a à rendre justice. Elle produit se recul nécessaire qui permet de voir « l’autre face de l’action » sans en être dupe.

De fait, ce qui est remarquable avec l’interprétation de la loi, est que cette dernière permet une réappropriation du sens de la loi par le langage. En effet, si la loi n’offre jamais la possibilité d’être interpréter, rendre justice ou agir en fonction de ces lois équivaut à faire usage d’un langage qui n’est plus le sien. C'est-à-dire que cela équivaut à être déposséder du sens et à se placer en dehors du langage produit par la loi. On se retrouve donc un parler un langage qui n’est pas le sien et à maintenir la loi comme une entité sacrée, toute puissante. Chemin faisant, la question du juste ne se pose plus. L’ « esprit » de la loi demeure caché et l’on est sensible qu’à la règle qu’elle ordonne, indifférent à tout contenu. C’est un tel manque de discernement et une telle dépossession du langage qu’Hannah Arendt décèle dans le cas d’Eichmann ; lequel Eichmann agissait sans scrupules, certain de « bien faire » puisqu’il appliquait la « loi » du IIIème Reich, fidèle croyait-il à l’impératif catégorique kantien… La « banalité du mal » dans le cas Eichmann se révèle être son incapacité notoire à comprendre et interpréter non pas la loi elle-même mais les conséquences catastrophiques de son application aveugle et bordée des plus misérables certitudes.

Ce qui est désormais flagrant, c’est que l’interprétation de la loi est un garde-fou précieux contre l’injustice et un usage arbitraire de la loi.

Ceci étant dit, nous devons remarquer que la question « doit-on interpréter la loi ? » soulève un dernier problème : qui se cache derrière le pronom impersonnel ?

Nous avons dit que la loi devait être interpréter dans le but d’éviter à la justice l’écueil de l’arbitraire et du règne de l’injustice. En même temps, on le sent bien, si cette capacité d’interpréter la loi est un droit arrogé à tous, on sape tout autant les fondements de la justice[2]. En effet, si on laisse à chacun le choix de l’interprétation sans déterminer par avance un cadre à la loi, c’est l’autorité de la loi qui est détruite et le spectre de l’arbitraire que l’on avait tenté d’éloigner revient renforcé et peut être plus impitoyable encore. Cela tient au fait que la loi polarise à la fois la volonté générale et celle de l’individu. Et si chacun des membres d’une société s’avère épris de justice et de paix, on constate, non sans effroi, que ce but est inaccessible sans que les uns s’opposent aux autres, sans qu’une société s’oppose à une autre. De fait, la violence semble inéluctablement inscrite au cœur de la réalité humaine. Pour Rousseau, si la volonté générale - en tant qu’impératif rationnel - « ne peut errer », si elle est « toujours droite », c’est à condition de ne pas être confondue avec les exigences d’une majorité impulsive ou trompée par les « factions ». Lorsque les hommes mettent en commun leurs aspirations de citoyens dégagés de tout intérêt particulier, alors apparaît la volonté générale. Les suffrages ne la créent pas ; ils la constatent car, Rousseau le dit expressément, chaque homme porte en lui la volonté générale, ce qui signifie qu'elle n'est pas autre chose que la raison qui l'habite. Seulement, pour que l'individu se prononce ainsi en tant que citoyen, il lui faut une abnégation et une puissance de réflexion dont bien peu d'hommes sont capables. C'est pourquoi, plutôt que risquer de voir la volonté générale étouffée par les égoïsmes ou l'aveuglement des appétits, ce qui ne manquerait pas de se produire si le peuple était directement appelé à légiférer, on interposera un filtre entre sa volonté et la loi. Ce filtre, grâce auquel ne passera dans la loi qu'un vouloir populaire épuré, c'est la représentation. En attribuant la souveraineté à la Nation, c'est-à-dire à une entité distincte de l'addition des individus qui la composent, les hommes de la Révolution ont rendu nécessaire la création d'un organe qui parlera en son nom. Et cet organe (l’Assemblée), par ses délibérations, décante le vouloir populaire. Et par son vote, il l'exprime.

L’interprétation de la loi ne doit pas donc être l’affaire de tous. C’est une tâche qui doit incombées à certaines personnes investies de cette fonction et devant être dotées d’une capacité tant d’analyse que de synthèse pour ne jamais être tenues ignorantes et des enjeux et de la nature programmatique de la loi. La loi demande à ce qu’on réfléchisse à sa propre nature et qu’on l’interprète dans un souci constant d’équité.


[1] Quand celle-ci est possible… Car la plupart du temps, les phénomènes sont connus à défaut d’être élucidés.

[2] Ce qui vaut aussi pour la morale dont l’idéal d’objectivité pourrait se dissoudre dans le relativisme et la subjectivité de ses principes.

mercredi 2 avril 2008

Shadok vs Pascal

« Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant choix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. », - Pensées, Blaise Pascal (1670)
Alors quoi ?? Pascaliens nos petits Shadok ?? Du certaine façon, c'est bien à la théorie des jeux que s'en remettent Pascal et ces pas si stupides Shadoks !
En effet : Pascal déduit que, ne pouvant départager l'existence ou non de Dieu, ses deux hypothèses ont la même probabilité. Il en découle que croire en Dieu serait une solution statistiquement plus avantageuse. De même, les Shadoks ne pouvant trancher entre l'utilité du pompage ou son intutilité jugent plus avantageux de gager de son utilité (au cas où, on ne sait jamais... foutus Gibis...). Car s'il s'avérait que le pompage est bel et bien une activité utile (vaste débat), alors les Shadoks maximiseraient leurs chances de réussite en ce monde plat qui est le leur.

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